Dans le vif du projet

« Au cours du XXème siècle, 75% des variétés comestibles cultivées ont disparu. Les causes sont multiples : arrivée de la technologie dans l'agriculture, dépendance des paysans envers les entreprises semencières, augmentation des activités industrielles, globalisation, évolution du marché alimentaire. »

Rapport de la FAO ( Food and Agricole Organisation) , 2008.

Face à ce constat véritablement criant sur le plan local et convaincue que nous ne pouvons plus accepter la disparition de plus d’espèces sur le plan local, Cléofécelia a décidé d’agir à son niveau mais aussi au niveau de sa communauté et de communautés andines éloignées ( 8 villages communautaires alentour coupés des informations du fait de leur éloignement géographique, de leur difficulté d’accès lié à l’absence d’accès par voie carrossable se situant parfois à plusieurs jours de marche de Chinchero.

A pied, d’abord seule puis progressivement accompagnée de membres de sa communauté, Cléofécelia a commencé à aller voir régulièrement ces communautés pour tisser des liens, échanger sur les conceptions, les pratiques, les demandes en matière de semences et de techniques agricoles.

« Maca, Sacha inchi, quinoa rouge, quinoa blanche, quinoa noire, kanihua, huaryruro, mate, curcuma, caroube, chia, riz, café, chocolat, sucre de canne, banane, tomates, patate douce, patates, amarante, camu camu, calafate, maïs blanc, jaune, noir, rose, maïs chaminco, chusspis, huaira, pituhuanquina, saqsa morada, chullpi, peruanita, confite, pikipoll, coca, canario, sangre de toro, haba, garbanzo, castillo, cañamito, soya, frejol de mani, poscor, arveja, pallares, morayachuno, lenteja, ccaya, cebada , kiwicha ».

Extrait non exhaustif du répertoire des semences de la vallée sacrée de Cuzco, Cléofécélia Huamman Llihuac, 2019

Ensuite est venu le temps de l’information, et progressivement de l’organisation d’une relocalisation des conservations et des partages de semences. A l’issue de chaque temps de rencontre, petit à petit avec les moyens du bord, Cléofécélia a commencé à constituer une sorte de répertoire des semences locales par les habitants de la Vallée tant sur le plan alimentaire que sur le plan nutritionnel.


La seconde phase du travail entrepris par Cléofécélia a consisté à associer à chaque semence, à chaque tubercule ses caractères spécifiques en y ajoutant un relevé des propriétés fantastiques constatées. C’est à ce stade, Cleofécélia a entrepris un travail de lecture pour confronter ses relevés à la littérature spécifique.

« Outre la diversité ahurissante des plus de 1334 variétés de pomme de terre dont plus de 900 issues des Andes, les qualités nutritionnelles des graines des Andes sont indéniables : par leur richesse en protéines, leur apport d'acides aminés équivalent à celui de la caséine du lait, leur composition en acides aminés essentiels proche des standards internationaux, leur apport de minéraux (calcium, fer, zinc), l'absence de gluten, expliquent tout l'intérêt qu'on leur porte aujourd'hui. Elles sont également sources potentielles de composés bioactifs tels que les polyphénols et de fibres alimentaires. »

Guillaume Gérard, Les trésors alimentaires des Andes, 2019

Parallèlement à ces lectures et à ses analyses de terrain, Cléofécélia est pleinement consciente que ses propres petits-enfants seront forts réticents à s’engager entièrement dans une vie rude et agricole en altitude. Elle ne souhaite d’ailleurs en rien un retour vers un modèle passéiste mais bel et bien la transmission et mise en pratique de traditions ancestrales puissantes tout à fait compatibles avec la modernité. Ainsi, son projet ne cherche en rien à créer des générations d’agriculteurs, mais il représente un enjeu de taille dans la transmission des valeurs et des traditions pour affronter demain, pour intégrer dans la vie quotidienne des jeunes du 21ème siècle la richesse des millénaires d’apprentissages de nos ancêtres. Ce projet vise à sensibiliser en actions, en démonstrations concrètes dans un partage joyeux en impliquant la jeunesse. Investir sur l’avenir en quelque sorte…ou quand un peuple racine veut partager ses racines.


Cléofécélia veut mettre en place un lieu d’échanges et de partage autour des semences nourricières. Son projet part du constat que la culture andine a très longtemps été tenue secrète et cachée du fait de la colonisation. Cela a conduit progressivement à une méconnaissance et à un désengagement de la jeunesse actuelle dans son rapport aux éléments et à la biodiversité.


Dans ce contexte, il est urgent d’inverser ce phénomène en associant les jeunes d’abord mais aussi les péruviens des alentours et tous ceux «  hors sol » qui habitent des villes surpeuplées et en oublient d’où ils viennent. Pour cela, il est envisagé d’impliquer chacun dans la préservation des semences gardiennes de sécurité alimentaire, de santé et d’autonomie.


L’objet est de se réunir autour des graines et pour cela, il faudra prévoir la location d’un espace pour partager joyeusement des connaissances, consulter des ouvrages ou des projections, pratiquer l’agriculture traditionnelle, apprivoiser et suivre la vie de la graine dans son biotope (un champ/ jardin pédagogique expérimental partagé) ou dans une serre aménagée. Chaque participant vivra l’expérience singulière de la transmission des connaissances par la pratique : les idées seront systématiquement associées aux gestes. L’idée est d’impliquer bien au-delà d’une simple visite de salle de musée  en leur partageant l’art de prendre soin de la biodiversité des Andes. Pour cela, il s’agira de les inviter dans un local aménagé autour des graines pour leur offrir la manipulation afin de leur transmettre des éléments de leur identité, de leur passé et sans doute des clefs de leur avenir.


La dimension « éducative / transmission » de ce projet est donc première et cela implique un travail de concert avec Ayud’Art pour concevoir et mettre à disposition des jeux pédagogiques et éducatifs de sensibilisation autour des semences, de leurs qualités, de leurs apparences et de leurs vertus.

Concrètement, cela prendra aussi la forme de réalisations d’outils pédagogiques autour des différents usages des graines des Andes (semence, teinture, pharmacopée, fibres naturelles à tisser). Pour ce faire, le projet inclut une partie de dépenses liées à l’achat de matériel pour observer et manipuler. Des supports de communication et de sensibilisation comme par exemple la réalisation de panneaux avec les jeunes ou le public serviraient à partager les connaissances et à les rendre accessibles au plus grand nombre.

La réalisation d’un site internet et d’outils de communication sont à envisager afin de faire connaitre le lieu, l’expérience, la philosophie de la rencontre.
Dans un premier temps, cela passera par l’approvisionnement en semences locale (troc et achats), en tubercules et en plants pour alimenter un fonds de préservation et d’échanges. A long terme, ces graines recueillies dans une grainothèque seront partagées avec tous grâce à la réintroduction du troc.

La constitution d’un fonds documentaire et la réalisation d’un meuble bibliothèque avec des ouvrages autour du thème des graines des Andes seront des éléments constitutifs de l’identité du lieu et ouvriront à l’esprit de recherche en ouvrant l’accès à l’information.


Bien entendu cet espace et ce projet auront de nombreuses répercutions positives sur la communauté de Cléofécélia et plus largement sur Chinchero. En permettant l’échange tout d’abord. Sorte de phare d’optimisme pour montrer que le combat est encore possible, que rien n’est perdu d’avance. En créant des connexions entres les habitants d’un même territoire rural, en faisant circuler l’information, en pointant les différents risques à esquiver ( surproduction…) en empêchant la perte d’autonomie alimentaire pour ne pas être dépendants des grandes politiques agricoles issues de Lima, cet espace constituera une véritable ouverture vers la liberté.